Artiste libre du basket français
Il est des talents qui ne ressemblent à aucun autre. Des joueuses capables d’échapper aux cases, de déjouer les pronostics, et de faire de chaque possession un moment de poésie. Marine Johannès est de celles-là. À 30 ans, l’arrière française incarne à la fois l’excellence du basket européen et l’audace du jeu libre à l’américaine. Née à Lisieux en 1995, elle a su tracer un parcours aussi atypique qu’inspirant, entre résilience personnelle, fulgurances techniques et reconnaissances internationales.
Une enfance hors-norme, un destin forgé par le sport
Marine Johannès ne vient pas d’un parcours lisse. Placée en famille d’accueil pendant son enfance, elle découvre très jeune dans le sport une forme d’échappatoire, mais aussi un moyen de s’exprimer. C’est à Pont-l’Évêque, le même club que Nicolas Batum, qu’elle fait ses premières passes. Repérée très tôt pour son sens du jeu et ses gestes improbables, elle rejoint l’USO Mondeville, véritable pépinière du basket féminin français.
À 15 ans, elle commence déjà à jouer avec l’équipe professionnelle. Ses entraîneurs sont frappés par sa maturité sur le terrain, sa capacité à surprendre et son flair offensif. Mais elle demeure encore irrégulière, parfois excessive, toujours brillante. Dès l’été 2014, elle brille en équipe de France U20, enchaîne les titres jeunes et s’installe comme une référence montante du basket tricolore. L’entraîneur Romain L’Hermitte dira d’elle : « Marine ne joue pas comme les autres. Quand elle est inspirée, elle est inarrêtable. »
Une artiste du ballon orange
À une époque où le sport professionnel valorise les statistiques, l’efficacité et les systèmes rigides, Marine Johannès choisit une autre voie : celle du jeu créatif, de l’improvisation, de la passe qui fait lever la salle. Comparée à Stephen Curry pour son relâchement et son audace, elle est avant tout une joueuse d’instinct. Elle ose les passes dans le dos, les tirs déséquilibrés à une main, les pénétrations en suspension. Elle joue comme on compose une musique : avec des silences, des envolées, et un rythme propre.
Céline Dumerc dira d’elle dès ses 18 ans : « Elle ne fait pas très physique, mais elle est rapide, elle a un crossover redoutable. Et surtout, elle a cette capacité à voler des ballons, à créer des choses. » Sa coéquipière Lysa Millavet ajoutera plus tard : « Ce qu’elle fait, même à l’entraînement, personne ne le tente. Ses passes, sa vision du jeu, ses tirs sur un pied… tout est impressionnant. »
Mais ce style flamboyant ne fait pas toujours l’unanimité. On lui reproche parfois ses pertes de balle, son irrégularité ou son refus de jouer “simple”. Qu’importe. Marine assume son identité de joueuse libre, convaincue que l’émotion et la créativité sont aussi importantes que la victoire.
Double vie entre l’Europe et la WNBA
Sa carrière prend une dimension internationale lorsqu’elle signe avec le New York Liberty en 2019. En WNBA, elle devient l’une des rares Européennes à s’imposer dans une ligue réputée pour son intensité physique et sa vitesse. Dès ses débuts, elle fait sensation : passes aveugles, tirs clutch, audace permanente. Elle trouve vite sa place dans la rotation new-yorkaise, devenant une arme offensive précieuse.
En parallèle, elle continue de briller en France avec l’ASVEL, club dirigé par Tony Parker. Avec Lyon, elle accumule les distinctions : plusieurs finales, un titre de championne de France, une victoire en Coupe de France, et surtout un sacre en Eurocoupe en 2023, où elle est nommée MVP des finales.
En 2024, alors que l’ASVEL traverse des turbulences économiques, Johannès prend la décision de rejoindre le club turc du Çukurova BK Mersin, où elle retrouve d’autres stars européennes. Ce transfert confirme son statut de star continentale, capable de briller partout où elle passe.
Les Bleues et les Jeux : l’aventure nationale
Marine Johannès a toujours été une pièce maîtresse de l’équipe de France. Dès 2015, elle enchaîne les compétitions internationales avec régularité. Elle remporte trois médailles d’argent aux championnats d’Europe (2017, 2019, 2021), une médaille de bronze olympique à Tokyo 2020, et surtout, en 2024, une médaille d’argent à Paris, dans un tournoi d’une rare intensité.
Sa performance contre l’Allemagne (24 points) et son impact dans le jeu face aux États-Unis en finale sont salués. Même si la France s’incline d’un point (66-67), Johannès reste l’une des joueuses les plus en vue du tournoi. Elle incarne l’esprit d’une équipe de France joueuse, audacieuse, solidaire.
Pourtant, sa relation avec la fédération française n’a pas toujours été fluide. En 2023, elle est écartée du groupe pour avoir privilégié un déplacement à New York, provoquant un débat sur la gestion des carrières internationales. Finalement, elle retrouve les Bleues à l’occasion du TQO en 2024, prête à écrire une nouvelle page avec la sélection.
Un modèle, une inspiration, un mystère
Marine Johannès fascine autant qu’elle intrigue. Peu présente médiatiquement, elle fuit les projecteurs. Sa pudeur contraste avec l’éclat de son jeu. Mais cette discrétion est aussi une force : elle laisse son jeu parler pour elle. Et quel jeu ! À 30 ans, elle continue d’enflammer les parquets et de réinventer sa manière de jouer. Ni meneuse pure, ni arrière classique, elle brouille les lignes et crée ses propres règles.
Elle incarne aussi une autre voie dans le sport professionnel : celle d’une passion pure, d’une fidélité à son style, d’une humilité rare chez les stars. Elle n’a pas cherché à séduire, à s’adapter, à lisser son jeu. Elle a simplement suivi son propre chemin, guidée par une exigence esthétique et une joie de jouer intacte.
Le basket comme art vivant
Marine Johannès est bien plus qu’une joueuse de basket. Elle est une ambassadrice du beau jeu, une artiste de l’instant, une inspiratrice pour toutes les jeunes filles qui rêvent de dribbler autrement. Sa carrière, marquée par des hauts, des bas, des éclats de génie et des engagements forts, est à son image : imprévisible, intense, sincère.
À l’heure où le basket mondial devient de plus en plus normé, standardisé, orienté vers la performance brute, Marine rappelle que ce sport peut aussi être une forme d’art. Une chorégraphie d’instincts. Un langage universel. Une émotion collective.
Et peut-être est-ce là son plus grand héritage : nous rappeler que le basket, lorsqu’il est joué avec le cœur, la tête et un brin de folie, peut devenir sublime.